Dans cet article et les prochains, j’aimerais aborder une broderie très particulière qui est considérée comme un sujet à part :
Le boutis
Le boutis est un travail sur textile piqué, méché et parfois rebrodé. Le terme s’applique aux productions du sud de la France. Le savoir-faire du boutis ou broderie de Marseille, a été classé à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France en 2019.
Il semble tirer son nom de l’ancienne aiguille de buis qui était utilisée pour bouter (pousser) sur l’envers les mèches de coton entre les deux étoffes.
Le plus vieux boutis connu est le « Tristan quilt » réalisé en lin et en coton vers 1395. Confectionné sans doute en Sicile, il narre en quatorze panneaux la légende de Tristan et Iseult.

Au XIVe siècle, les ateliers de piquage de Sicile avaient adopté le trapunto qui est composé d’une fine toile de coton blanc doublée d’une toile à beurre entre lesquelles est inséré un léger molleton. Après le piquage, seuls les motifs les plus importants sont bourrés à la ouate. La mode des costumes en trapunto gagna l’Angleterre puis la France. Lorsque le négoce du textile marseillais voulut conquérir de nouveaux marchés, il décida d’embaucher des brodeuses siciliennes. La demande fut telle qu’en 1474, la municipalité de Marseille fit venir Michel Mérulle, de Gênes, afin d’enseigner ce type de broderie aux artisans provençaux.
À cet engouement s’ajouta celui des indiennes, importées dès la fin du XVIe siècle. Ce nouveau tissu, traité en piquage, révolutionna le marché. La noblesse et la bourgeoisie s’arrachèrent ces toiles de coton peintes ou imprimées, décorées de motifs aux couleurs éclatantes et inaltérables. Elles s’imposèrent tant pour l’ameublement que pour l’habillement.


Leur production s’adapta très vite au mode de vie provençal. Face à cette demande, les indiennes furent désormais imprimées en Provence où les artisans locaux réussirent à imiter puis à enrichir les motifs d’origine. Ces étoffes étaient transformées par les mains des piqueuses qui utilisaient trois techniques : le matelassage, le piqué et le boutis. Leurs travaux de pique, grâce à la facilité d’entretien des tissus obtenus, à leur solidité et à leur décor variable à souhait, connurent un succès immédiat. Les documents d’archives ont montré qu’en 1680 ce travail occupait à Marseille près de 6 000 femmes pour une production de 40 à 50 000 pièces de toiles par an.
Le succès commercial de ces toiles menaça même le commerce de la soie, du lin et de la laine. Ce qui inquiéta au plus haut point les soyeux et drapiers de Lyon. Ils firent pression sur Louis XIV pour qu’il les interdise. Effectivement le 26 octobre 1686 un édit royal de Louvois interdit de fabriquer, d’importer, d’imprimer et de porter des indiennes. Cette interdiction eut un effet inattendu en ouvrant le marché du luxe au boutis. Pour préserver leur marché « les manufactures marseillaises obtinrent l’autorisation d’importer les toiles blanches de coton à condition qu’elles fussent piquées à Marseille ». Et le boutis prit la place des indiennes prohibées.
Même si la levée de l’interdit se fit en 1759, les ouvrières provençales avaient profité de la prohibition pour créer un véritable art avec son langage symbolique. Les boutis pour la noblesse, brodés dans les tissus les plus riches, comportaient des armoiries et des écussons, les points de broderie étaient variés et le méchage en couleur pouvait exister. Leurs qualités en firent des produits de luxe qui s’exportèrent vers l’Europe (Angleterre, Hollande, Portugal et Espagne) et les colonies d’Amérique.
Le jupon devint rapidement incontournable. Ce vêtement, réservé à la noblesse, se démocratisa et toutes les jeunes Provençales, tant en ville qu’à la campagne, le mirent dans leur trousseau de mariage. Une autre tradition prit racine, celle du pétassoun en boutis destiné au nouveau-né. Cette pièce carrée avait pour fonction de protéger les vêtements de la personne qui portait le bébé. Le boutis tout blanc travaillé au point avant était le plus commun à cette époque.


La prochaine fois, je vous explique comment est réalisé le boutis.
Cet article prend ses sources essentiellement dans Wikipédia.