26 avril 2024

Examen de la broderie du triptyque

Maintenant que nous avons l’identité de chaque personnage, je vous propose de rentrer plus en détail dans la broderie.

Si vous avez lu l’article sur le point de Bayeux, je pense que vous en avez compris la finalité : les trois panneaux sont brodés selon les techniques de couchure du Moyen-Age. Ca tombe bien me direz-vous puisque ce sont des personnages du Moyen-Age.

Le travail sur les personnages de Louis XII et d’Anne de Bretagne est de belle facture.

La couronne de Louis XII est travaillée au fil d’or, royauté oblige. Les deux couleurs de la coiffe accentuent le mouvement de l’étoffe et le visage est travaillé au passé empiétant comme il était habituel au Moyen-Age.

Le vêtement du souverain est soigné au niveau du sens de la couchure des points et des points de couleur discrète sont rajoutés par-dessus pour donner plus de relief et rappeler les fleurs de lys tandis que la bordure blanche qui rappelle la fourrure d’hermine avec le symbole de la Bretagne rajouté au fil noir renforce encore cette impression de relief.

Les chaussures rouge écarlate sont également soigneusement brodées et peaufinent l’idée de la royauté et du luxe.

Pour Anne de Bretagne, sa robe reste très travaillée pour essayer de rendre la complexité des différentes couches de vêtements. Travail d’autant plus délicat que la couleur des fils couchés est quasiment uniforme, les détails étant rendus par le sens et la couleur des fils de couchure.

Les couleurs sont présentes seulement sur sa coiffe avec un bleu plutôt éteint et sur la frise, ce qui donne l’impression d’un panneau plus terne par rapport aux deux autres. Etait-ce volontaire ?

Quant à Jeanne d’Arc, je serais beaucoup plus réservée sur la qualité de la broderie.

Jetons un œil aux différents points de broderie : outre le point de Bayeux qui est majoritaire, on trouve du passé plat au niveau des frises qui encadrent le couple royal sur les côtés, du point de Boulogne pour sertir chaque zone de broderie et des techniques de broderie or lorsque du fil métal est utilisé.

Des personnages du Moyen-Age brodés avec des techniques du Moyen-Age. Est-ce que cela signifie que le triptyque date du Moyen-Age ? Pas de déduction hâtive !

Justement, abordons les matériaux utilisés.

Pour commencer, parlons de ce qu’on ne voit pas :

Quel est le bois utilisé pour le support du triptyque ?

Quel est le tissu de support pour la broderie ? (lin ou coton ?, tissage main ou sur métier ?)

Comment est l’envers de la broderie ?

Ces trois éléments auraient été des indices précieux pour dater la fabrication du triptyque.

D’après les photos, je dirais que le fil majoritaire est de la soie avec des parties brodées au fil métal or et argent.

Avec un groupe de brodeuse, nous avons eu la chance de voir l’exposition dédiée à la broderie au Moyen-Age au musée Cluny à Paris où j’ai pu admirer des œuvres du XIII au XVème siècle. J’ai été frappée par la finesse des fils employés et par la perfection de la technique de broderie.

Et bien dans ce triptyque, je suis frappée par certaines incohérences, surtout sur le tableau de Jeanne d’Arc. C’est un très beau travail d’ensemble, certes, mais je ne qualifierais pas pour autant cela de travail minutieux !

Parmi les incohérences, il me semble que cela commence par l’emploi des couleurs et des matériaux.

Dans la frise gauche de Louis XII :

  • Les feuilles sont d’abord brodées avec un fil floche (qui s’étale) rouge brique, peut-être de soie, puis le relai est pris avec un cordonnet (très torsadé qui ne s’étale pas) beaucoup plus terne et dont je me demande s’il s’agit de soie ou de coton. S’agit-il d’une restauration mal faite ou de manque de fil ?
  • De même, la barre verticale passe du gris à l’ocre. Les pois et les petites feuilles changent de couleur aussi.
  • Dans les fils couchés au point de Bayeux qui composent le fond couleur crème apparaît une petite zone écrue.

D’ailleurs, dans les trois panneaux, le travail du fond est loin d’être uniforme en couleur, manque de rigueur pour délimiter les zones des broderies et de régularité dans l’exécution du point et du sens de couchure.

Sur la photo d’Anne de Bretagne, en bas, à droite, on peut observer un rameau qui est bleu lumineux au départ puis marron. Le changement de couleur du marron foncé au marron clair dans les points de couchure un peu plus haut est brutal.

Vous trouverez une foule d’autres détails qui me laissent perplexe quand on connaît la minutie des travaux du Moyen-Age.

Quant à Jeanne d’Arc, n’en parlons pas. Comme dirait ma prof de broderie, certaines parties sont brodées avec les pieds !

Jetons un œil à la broderie au fil métal.

La broderie or rehausse le rendu du triptyque et y apporte une touche de raffinement et de préciosité qui renforce le lien avec la royauté. Hormis l’armure de Jeanne d’Arc, elle est utilisée sur les fleurs de lys qui l’entourent, sur la couronne de Louis XII, ses armoiries et le mot Paix d’Anne de Bretagne

Pour autant, les fils employés ne sont pas d’une grande finesse et la technique n’est pas à la hauteur des grandes œuvres du Moyen-Age.

Pourquoi une telle différence de qualité ?

La brodeuse avait la Covid ? En avait marre ? Oups, j’ai dérapé. Mes hypothèses doivent respecter le contexte historique.

La brodeuse n’avait vraiment plus de fil ? N’était plus payée ? L’ouvrage a été travaillé par différentes personnes ? Fini à la va vite ? Très mal restauré ? Travaillé par une ou des brodeuses non professionnelles ?

Il me semble que l’examen de la broderie ne nous permet pas de conclure qu’il s’agit d’une broderie datant du XVème siècle. Espérons que l’Histoire plus récente nous apportera de nouveaux éléments.

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